Kris Peeters, le meilleur soutien de la NVA

Carte blanche, publiée sur le site web du Soir, 13 septembre 2012

 

Kris Peeters est en train d’ouvrir la voie à Bart De Wever. Le Ministre-Président flamand aide la N-VA à obtenir une victoire éclatante.

Pendant des années, j’ai adoré les opéras de Richard Strauss, mais cet amour s’est quelque peu tari. Der Rosenkavalier est trop somptueux et sirupeux, Ariadne auf Naxos trop long d’une demi-heure et Elektra trop cruel, pour ne citer que ces trois là. Mais les politiques devraient absolument les voir car ils abordent tous trois la même question essentielle : comment vivre et survivre dans un contexte qui a subitement changé? Est-ce qu’on se trahit soi-même ou son projet initial si, sous la pression des circonstances, une nouvelle direction est prise ? Le Ministre-président flamand Kris Peeters (CD&V) est dans cette situation face à la NVA : suit-il la trajectoire qu’il a lancée il y a quelques années ou en change-t-il radicalement ? Eric Van Rompuy et Wouter Beke semblent eux avoir tranché. Pendant des années, ils ont coopéré amicalement avec Bart De Wever. Ils ont formé une coalition avec la N-VA pour briser le gouvernement violet et revenir au pouvoir. Or, autant Van Rompuy que Beke ont tenu des déclarations très importantes cet été. Pour la première fois, ils ont pris leur distance à 200% avec la N-VA. Non, le CD&V ne souhaite pas la fin du pays. Et oui, le projet de la N-VA menace la prospérité des Flamands. Plus encore, le gouvernement fédéral - sous la direction du PS- fait selon Van Rompuy du très bon travail. Par là, le CD&V, en tout cas une partie de celui-ci, a fait

le premier pas nécessaire vers la sortie de la domination de la NVA et la définition d’un projet propre, clairement différent de celui de la N-VA sur trois points essentiels : le CD&V s’oppose à la scission de la Belgique, défend la concertation sociale et résiste à la mise en place d’un système politique où la majorité gouverne en ne tenant aucun compte de la minorité, le modèle dont rêve De Wever.

Le Ministre-président Kris Peeters semble encore se tenir à l’ancien scenario. La seule chose qui semble ressortir de son discours du 11 juillet dernier (Fête de la Communauté flamande), ce sont ses lamentations sur le fait que le gouvernement fédéral ne demande pas assez l’avis de la Flandre dans les décisions européennes. Un discours “ calimero “ à la De Wever alors que personne ne peut gagner la course du plus grand calimero contre De Wever.

Avez-vous déjà entendu Kris Peeters dire quelque chose de positif sur le gouvernement fédéral ? Et bien non, c’est même tout le contraire. La semaine passée, il a attaqué le gouvernement fédéral parce qu’Elio Di Rupo a osé réclamer ce que deux commissions parlementaires et un grand nombre d’experts exigent depuis des années, c’est-à-dire la scission entre banques d’épargne et banques d’affaires. Le Ministre-Président se plaint également depuis des mois que le gouvernement fédéral lambine avec la réforme de l’Etat et l’informe insuffisamment. C’est un calque de la posture de De Wever : le gouvernement fédéral ne travaille pas bien et ne respecte pas les entités fédérées. Quand est-ce que Kris Peeters a salué la sixième réforme de l’Etat, laquelle est également le fruit du travail de son propre président de parti ? Jamais.

Au contraire, Peeters se plaint depuis un an que la mise en œuvre n’est pas assez rapide et qu’une septième réforme de l’Etat est urgente ! Voici encore un cadeau pour De Wever qui voit une fois de plus sa position appuyée par le Ministre-président himself. Alors même que tout le monde sait que c’est un travail de titan que de finaliser la traduction de la sixième réforme de l’Etat en textes législatifs et ce pour 2014 et que cela prendra encore de nombreuses années avant d’implémenter le transfert des compétences. Peeters le sait mais exige une septième réforme de l’Etat. Une voie royale pour De Wever.

Voyons comment l’ancien premier Ministre Jean-Luc Dehaene s’est attaqué au problème en 1995 après la quatrième réforme de l’Etat. Il a fait inscrire dans le premier accord de gouvernement que cette réforme de l’Etat devait être mise en œuvre et que le Sénat se chargerait du suivi et de l’évaluation. Ce qui empêchait toute nouvelle réforme lors de la nouvelle législature. Une pause communautaire en quelque sorte. A toutes les questions parlementaires de cette législature-là, Jean-Luc Dehaene se référait sans cesse à cette petite phrase et passait à l’agenda politique, le sien, pas celui de l’opposition... Ca s’appelle du leadership ça, non ?

Kris Peeters se trouve donc devant un choix crucial : adopter un comportement qui revient à se trahir soi-même ou par la transformation se réinventer. Le contexte dans lequel Kris Peeters fonctionne a changé. Il s’est produit une césure fondamentale : Bart de Wever est “ Dieu “, la NVA menace de cannibaliser le CD&V et il y a un accord politique sur la sixième réforme de l’Etat. Aussi longtemps que Peeters continuera à demander une septième réforme de l’Etat et adoptera une attitude frontale vis-à-vis du gouvernement fédéral, il aidera la NVA à obtenir une victoire éclatante en 2014. Si a contrario Peeters suit le duo Van Rompuy-Beke et dessine une trajectoire différente pour 2014, DeWever et sa bande lanceront l’offensive et le traiteront de Belgicain. Un dilemme pour Peeters. Pourtant, si Kris Peeters espère pouvoir encore jouer un rôle dans le projet politique flamand après 2014, il pourrait très bien ne pas avoir d’autre choix que d’opter pour une Flandre où les minorités ont une place, pour une Flandre où la société civile est prise en considération et pour un fédéralisme de coopération.

Dans der Rosenkavalier, Octavian et le Feldmarschallin prennent une décision radicale et courageuse et empruntent chacun un nouveau chemin. Strauss récompense ce courage par une des plus belles scènes finales de l’histoire de l’opéra. Le Baron Ochs ne comprend pas que le monde à changé autour de lui et son obstination est contreproductive. La sanction est des plus cruelles : aucun autre personnage d’opéra n’a été autant insulté et ridiculisé. En politique, Monsieur Peeters, cela se traduit par “ une défaite électorale historique “.